Aléas et bonheurs de confinement
journal spontané et solitaire à prendre à la légère
Jour 1
C'est l'angoisse, qu'on se le dise
Jour 2
Regret amer de ne pas avoir pris la fuite, partir rejoindre mes parents et la mer
Délit de non-confinement
Qu'est-ce que je peux faire? J'sais pas quoi faire
Jour 3
Alors que la routine s'installe, la barrière de ma fenêtre devient simulacre de balcon, où j'appuie mon oreiller pour prendre le soleil en lisant. Je finis Les Années d'Annie Ernaux et me satisfais d'un rien. Déni ou euphorie solitaire, espérons que cela dure.
14, 25, 64, 76, 80, 91, 116, 126, 159, 212, 230, 248, 254 sont les pages de j'ai cornées.

"Pour l'avenir coexistent en elle deux visées : 1) devenir mince et blonde, 2) être libre, autonome et utile au monde" est une phrase que j'ai soulignée. Je m'étonne de la superficialité de mes préoccupations.
Jour 4
Je reprends un tricot délaissé depuis plusieurs mois sur ma machine domestique par fainéantise.
Jour 5
Je découvre enfin le cinéma de David Lynch avec Mulholland Drive et peine à comprendre ma satisfaction face à ce désordre pictural et narratif.
Jour 6
J'ai des envies de tirages et développement argentiques, frustrée d'avoir appris à me débrouiller seule au studio photo quelques jours avant la fermeture de l'école.
Bateau de croisière pour prendre la fuite
Il y a un an, je me la coulais douce à Milan, partie pour six mois.
Enfermée, ce sont ces souvenirs qui me bercent ; l'amertume du spritz au bout de la langue ; le sourire d'un amour au compte à rebours ; l'accent des locaux dans leurs tentatives d'expression anglaise ; l'eau des lacs et des mers qui m'appelaient chaque week-end à quitter la ville.
Jour 7
Je redécouvre quatre années de photographie argentique, mon jardin secret qui tient dans une boîte en carton, et ranime l'envie d'en faire quelque chose.
Jour 8
L'Italie pleure alors je pense à elle.
L'étendue psychorigide du linge
Le passéisme imprimé dans l'espace
Mes obsessions locales en image
La curiosité qui éprend un touriste, tout à coup happé hors de son portable, et se lit dans les gestes
L'eau, d'un turquoise enivrant sur la côte, d'un vert trouble dans la Lagune
Jour 9
Je finis ma robe en tricot et me délecte de sa légèreté.
Jour 10
J'ignore de plus en plus consciemment les emails de mes professeurs, nécessaire évasion du diplôme.
Jour 11
Des envies de fleurs et d'amour.
Jour 12
Je me perds dans les limbes psychothérapeutiques d'Instagram
Casse-toi, timbres de rupture, prochainement approuvés par les services de Poste Française
Jour 13
Je persiste dans mon entreprise risquée d'arrêter de me ronger les ongles en cette période de crise.
Jour 14
Je deviens de plus en plus attentive à mon horoscope ;
l'absence d'action dans ma vie le rend futile et invraisemblable.
Un conte Ophélien signé Varda, qui nous dit par sa douceur et son ironie : Tous des cons.
Jour 14
Je m'autorise une pensée émue pour le dernier projet qui m'a comblée. Ça date, il va falloir y remédier.
Ophelia, collection de diplôme de licence pro mode, 2019
Jour 14
Je finis d'immortaliser à la peinture un portrait d'amour capturé au super 8 par Wim Wenders dans son parfait Paris,Texas.
un cinéma de l'errance



une quête de soi dans la perte de l'autre
Un adieu au fantasme d'un amour passé
De chacun de ces paysages, je veux faire une peinture
Jour 15
fatigue morale : 31%
tristesse corporelle : 23%
désoeuvrement face à la médiocrité gouvernementale : 14%
faim de sucre par compensation : 11%
envie de vivre : 10%
joie de vivre : 9%
charme : 2%
Jour 16
J'ai des envies de cuisine et de tiramisu mais mon four ne fonctionne plus et je ne sais pas monter les blancs en neige.
Jour 17
Je m'éloigne de mon téléphone qui s'était comme greffé à ma main ces derniers jours.
Jour 18
Je m'autorise une courte balade (dans les règles) et le soleil qui chauffe ma peau est d'un grand réconfort.
Jour 19
Titres sans auteurs des livres lus depuis le début du confinement par ordre chronologique : Les années, Rien ne s’oppose à la nuit, Le ravissement de Lol V Stein, Les choses, L’amant, Babylone, Enfance.
Jour 21
J’ai comme envie de commencer par des mots, désordre d’influences et de valeurs, qui semblent éclairer davantage ma pensée que des lignes, alors que devrait se dessiner sans y parvenir mon sujet de mémoire, dont je reprends l'écriture après trois semaines de violent déni.


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Jour 20
Je fais un petit tour sur la presse en ligne pour fêter les trois semaines de confinement et la préservation de ma santé mentale s'en voit mise en péril.
De vieux dessins spontanés d'après les polaroids enivrants de TW
Jour 22
Je découvre des pétales de roses mis à sécher dans un gros livre au jour 1 du confinement et me voilà ravie de ce papier de soie naturel aux couleurs explosives dont je ne ferai jamais rien.
Jour 23
Je n’arrive plus à dormir, bercée par le ronronnement des moustiques et mes angoisses existentielles.
Jour 24
Je savoure le silence.
Jour 26
J’apprends à dire au revoir, observer des relations se faire et d’autres s’éteindre. La distance sociale éclaire.
Jour 25
Je retrouve Duperré quelques heures pour monter un atelier de couture de masques pour la Ville de Paris et mon coeur se tord à la vision de mon école adorée vide d’énergie collective et créative.
Jour 27
Depuis trois jours je tapisse, c’est le temps qui s’arrête de couler.
Jour 28
Je me maquille de nouveau, rouge à lèvres délaissé depuis un temps, comme pour me rappeler que je suis vivante.
En ces temps difficiles, la douceur de Marguerite est un cadeau.
Casse-toi, Plexi-canevas de rupture
Roland Barthes à propos des écritures de Cy Twombly :

" Ce sont des bribes d'une paresse, donc d'une élégance extrême ; comme si, de l'écriture, acte érotique fort, il restait la fatigue amoureuse : ce vêtement tombé dans un coin de la feuille. "

Jour 29
Je me rends davantage présente pour une amie qui doit surmonter une rupture amoureuse sans l’apaisement d’un au revoir.
Jour 30
Je découvre un soir après une aération nécessaire ma boîte aux lettres anonymement vandalisée. Le confinement commence à monter à la tête de certains.
Jour 31
J’envisage dans la solitude et l’angoisse un tchat avec SOS amitiés puis change d’avis face à l’absurdité de la situation.
Jour 32
Je me sens enfermée chez moi comme dans une prison.
Oppression, collection de diplôme de BTS, 2018
Jour 33
Je reçois par la poste une pelote de laine en chocolat que ma mère m’a commandée pour Pâques, comme un remède à l’exil.
Jour 34
J’enterre une liste de mes objectifs à atteindre pour 2020 que j’avais naïvement rédigée le 1er janvier.
Jour 35
Je supprime mon premier amour de tous les réseaux sociaux pour lui souhaiter un bon anniversaire.